lundi 25 janvier 2010

PAUL DRAPER DU DOMAINE DE RIDGE EN CALIFORNIE: LE DERNIER DES MOHICANS?

Ou :
La primauté des critiques américains sur le terroir californien.
Claude Gilois

Paul Draper est en charge de ce domaine mythique dans les montagnes de Santa Cruz à 120 km au sud de San Francisco depuis plus de quarante ans. Il a donc vécu le renouveau de la viticulture californienne depuis le début (après sa quasi disparition suite à la prohibition) et le formidable succès de cette résurrection qui a amené en moins de quarante ans, les vins californiens sur le devant de la scène viticole internationale. Dès 1976, lors d’une dégustation aujourd’hui appelée le jugement de Paris (dont nous reparlerons au mois de mars), des dégustateurs français jugeaient les vins californiens au même niveau, voire même au-dessus des grands bordeaux français, y compris les premiers crus . Il est vrai qu’à cette époque, il n’était pas si facile de faire la différence entre un vin français d’assemblage bordelais et un vin de Californie élaboré avec les mêmes cépages. Les degrés d’alcool étaient assez proches et même s’il existait sans doute une plus grande générosité de fruit sur les californiens, ils constituaien t d’excellents intrus dans une dégustation de vins d’assemblage bordelais.

C’est ce qui sans doute séduit les journalistes et les consommateurs anglais qui furent les premiers à importer les vins californiens dès le début des années 70. Aujourd’hui, il suffit de consulter la presse spécialisée anglaise pour s’apercevoir que les vins américains ne font plus l’unanimité. Trop d’alcool, trop lourds et pas représentatifs de leur terroir en particulier celui de la Napa.

Que s’est-il donc passé pour qu’on assiste a un tel changement en si peu de temps ?

«Le milieu de la décade 1990 et en particulier 1997 seront les années qui marqueront le changement » nous dira Paul Draper lors de sa visite à Paris en décembre 2009 pour une somptueuse dégustation verticale de Monte Bello. 1997 fut une année chaude et le millésime riche en Californie. Il fut retenu par les journalistes californiens en particulier par Robert Parker et le Wine Spectator comme l’année de référence. A partir de ce millésime, tous les millésimes allaient être comparés au millésime 1997. Les notes des critiques furent consistantes, bonnes pour ceux qui faisait des vins dans le style des 1997 et particulièrement mauvaise pour ceux qui persistaient à faire des vins en finesse avec des degrés d’alcool maîtrisés. Les producteurs apprirent très vite à modifier le style de leur vin en récoltant plus tard à des dégrées d’alcool plus élevés pour avoir les meilleurs notes possibles. Il fallait être de la trempe d’un Paul Draper ou Warren Winaiaski (de Stags Wine Cellar) ou d’un Jim Clendenen d’Au Bon Climat pour résister à cette lame de fond. Warren Winiarski ayant maintenant pris sa retraite et vendu son domaine, nous doutons fort que les vins du domaine, dont le magnifique Cask 23, continuent d’être élaborés dans le même style.

Mes déplacements en Californie me donnent l’occasion de goûter des vieux millésimes et je peux vous assurer que les vins des années 1980 et début des années 1990 sont différents des vins élaborés aujourd’hui. Les grandes cuvées de Beringer et de Mondavi sont d’une grande finesse. Un Hillside Select de Shafer de 1990 gouté l’année dernière au domaine est bien différent de ceux produits aujourd’hui.

Le réchauffement climatique n’est pas dans l’état actuel suffisant pour expliquer ces changements car des vignerons comme Paul Draper ou Jim Clendenen sont tout à fait capables d’élaborer des vins à parfaite maturité phénolique et a des degrés d’alcool maitrisés.

Le gommage du terroir par des degrés d’alcool élevés et un usage excessif de la barrique rendent maintenant ces vins difficilement identifiables et aussi difficilement buvables. Dommage !!

Vins du monde continuera à s’approvisionner chez les producteurs qui ont su faire la jonction de la tradition française et du renouveau des forces vives viticoles californiennes sans tomber dans l’excès que réclame toujours plus les critiques américains.

lundi 18 janvier 2010

LES ETRENNES DES DEUX SINGES EN HIVER

La coutume d’offrir des étrennes à chaque changement de millésime est, semble-t-il, en train de se perdre. Les deux Singes en hiver ont décidé de la perpétuer. C’est ainsi qu’ils offrent à tous les lecteurs de ce blog, qui bien sûr aiment le vin, un florilège de citations de manière à clouer le bec à tous les détracteurs de ce divin breuvage, fondement peut-être pas d’une civilisation mais d’une culture assurément, une culture de la joie de vivre, de la fraternité, et de la tolérance.

- Le vin est le breuvage le plus sain et le plus hygiénique qui soit.
Pasteur

-C’est la pénicilline qui guérit les hommes, mais c’est le bon vin qui les rend heureux.
Alexander Fleming

- Le vin est la partie intellectuelle d’un repas.
Alexandre Dumas

- Il y a plus de philosophie dans une bouteille de vin que dans tous les livres.
Pasteur

- Il y a une civilisation du vin, celle où les hommes cherchent à mieux se connaître pour moins se combattre.
Gabriel Delaunay

- Le vin peut transformer un simple repas en événement mémorable.
DerekCooper,critique gastronomique anglais

- Le vin nous attire maintes amis, l’eau les faits fuir.
Michel Moscherosch

- Un homme qui ne boit que de l’eau à un secret à cacher à ses semblables.
Baudelaire

- L’homme doit au vin d’être le seul animal à boire sans soif.
Pline l’Ancien

- Le vin est de l’eau emplie de soleil.
Galilée


- Dieu n’avait fait que l’eau, mais l’homme a fait le vin
Victor Hugo

- Le vin (…) est libérateur de l’esprit et l’illuminateur de l’intelligence.
Paul Claudel


On arrête cette fois-ci sur celle-là. Elle est trop bonne. Faut pas abuser du plaisir. Des petits cadeaux comme celui-là, les deux Singes vous en gardent quelques uns.
A bientôt et bon vin.

mercredi 6 janvier 2010

L’ACTIVITE VINS DU MONDE EST-ELLE COMPATIBLE AVEC LE CONCEPT DU « DEVELOPMENT DURABLE » ?

Claude Gilois & Ricardo Uztarroz


La société Vins Du Monde est connue comme la spécialiste des vins étrangers en France. Elle en importe d’une trentaine de pays dont le plus lointain est la Nouvelle Zélande.


Le développement durable : une définition


C’est un mode de développement économique cherchant à concilier le progrès économique et social avec la préservation de l'environnement, considérant ce dernier comme un patrimoine à transmettre aux générations futures. Le principe du développement durable consiste à développer ses activités en tenant compte de leurs impacts à court, moyen et long terme sur l'environnement, les conditions sociales et l'éthique et ce, au niveau mondial. Ce concept repose sur la nécessité de préserver les ressources pour les générations futures tout en maintenant un objectif de croissance.L'agriculture biologique et raisonnée, le commerce équitable, les marchés des énergies renouvelables sont des activités de développement durable.
Disons le tout de suite cette définition est loin de faire l’unanimité mais elle fera l’affaire pour notre démonstration et nous reviendrons sur ses limites en conclusion.


L’empreinte carbone


A l’intérieur de ce concept de développement durable, l’empreinte carbone des activités humaines est devenue sans doute la principale préoccupation car il est indéniable, aujourd’hui, que la planète fait face à un réchauffement climatique qui menace à moyen terme la survie de l’espèce humaine.


Comment avoir un effet neutre en carbone sur notre environnement ?


L’idée d’un « prix à payer » pour les émissions de gaz à effet de serre a fait son chemin depuis la création du concept de « bourses du carbone » en 2002 [1] dont les lignes directrices sont détaillées dans le protocole de Kyoto. Fixée à l’origine pour des sociétés émettrices de grosses quantités de gaz à effet de serre, le concept s’est petit à petit entendu aux produits manufacturés, à l’agriculture, à l’élevage et aux activités de services.


Il est donc possible, soit d’échanger des quotas d’émissions entre les entreprises émettrices sur les marchés des bourses du carbone ou d’acquitter une somme, souvent encore facultative, quand celle-ci peut être calculée pour déterminer le montant de l’empreinte carbone sur l’environnement.


Les compagnies aériennes par exemple proposent à leurs clients de payer un montant supplémentaire, basé sur cette valeur de marché de la tonne de carbone, pour « compenser les émissions » générées au cours de leurs voyages. Ces sommes sont ensuite versées à des organismes pour être investies dans des programmes de réduction d’émissions de C02 (plantation d’arbres, migration vers des techniques moins polluantes etc…) de telle façon que votre voyage n’a aucun impact carbone sur l’environnement. Nous ne connaissons pas aujourd’hui l’efficacité réelle de ces programmes de compensation.


Le montant de la tonne de carbone fluctue suivant le marché et nous avons pris une valeur de 22 € par tonne pour cette étude[2].


Toute personne ou société peut de cette façon s’interroger sur l’impact carbone de ses activités. La société Vins Du Monde parce qu’elle importe de pays lointains, qu’elle exerce une activité plus ou moins directement liée à la terre, et qu’elle a en son sein des personnes particulièrement concernées par les problèmes environnementaux se doit de se poser la question sans détour.
L’importation des marchandises Vins Du Monde se fait principalement par voie maritime et par route et jamais par avion car les coûts d’acheminements sont prohibitifs.


L’impact Carbone du transport maritime


Les marchandises sont acheminées du port principal du pays du producteur exportateur jusqu’au port du Havre et sont ensuite tractées par route jusqu’à entrepôt à Bordeaux. Nos achats se font en général FOB[3] donc l’impact du transport routier jusqu’au port du pays de provenance n’est pas pris en compte. Nous faisons charger les conteneurs avec environ 10,000 bouteilles sur les 12,000 possibles pour assurer une sécurité maximum aux employés lors des déchargements. Le poids d’un conteneur est d’environ 15 tonnes et la distance parcourue varie en fonction des lieux de provenance.


Le transport maritime émet 0,00267Kg de C02 [i] par tonne de fioul lourd et par kilomètre parcouru. Connaissant le poids du conteneur et la distance parcourue ainsi que le coût de la tonne de C02 on peut facilement calculer le montant qui faudrait « compenser » pour avoir un impact carbone neutre sur l’environnement. Fixons la distance parcourue à 10,000 kilomètres arbitrairement. Le poids d’un container de 20 pieds est de 15 tonnes. Il faudrait donc s’acquitter d’un montant de 8,81 € pour compenser les émissions de la partie maritime du trajet.
Il faut aussi ajouter à cela la traction du container du Havre à l’entrepôt Vins du Monde à Bordeaux soit approximativement 875 kilomètres. Le coût des émissions de C02 pour un poids lourd est de 0,05 Kg de C02 par tonne et par kilomètre. Le poids lourd émet donc 0,66 tonne de C02 et le montant de la compensation s’élève à 14,44 €.


Il n’aura échappé à personne que le transport poids lourd est très onéreux en carbone. En effet, il coûte presque deux fois plus cher de faire 815 Km par poids lourd que pour effectuer 10,000 km par bateau.


Il nous faut « compenser » d’un montant total de 23,25 € pour avoir un effet neutre sur les émissions de C02 soit 0,002325 € par bouteille. Cet impact est donc négligeable sur le cout des opérations de Vins du Monde.


Supposons maintenant que pour arrondir les fins de mois de Vins Du Monde, nous développions une activité : Fruits et Légumes du Monde et que nous allions acheter 15 tonnes de haricots verts dans un pays à 10,000 kilomètres de distance. Là, par contre, comme c’est une denrée périssable il faut acheminer nos quinze tonnes par avion cargo long courrier. Un long courrier émet 0,94 Kg de C02 par tonne et par Km.


Le coût de la compensation s’éleve 3 102 € soit une majoration de 0,2068 € sur le prix de revient du kilo de haricots.


L’impact n’est plus neutre même s’il peut encore être considéré comme supportable mais attention les marges bénéficiaires se calculent avec des coefficients multiplicateurs on va donc vite atteindre une majoration du prix de vente qui n’est plus supportable.


Il est aussi certain que la tonne de carbone ne restera pas à un prix aussi bas que 22 € à mesure que le la pression du changement climatique se fait sentir sur l’environnement de la même façon que le coût du pétrole augmente au fur et à mesure qu’on se rapproche du peak de production et que la conjoncture mondiale pousse à l’investissement[ii]. Imaginons la tonne de carbone à 100 € [4] alors pour nos achats d’un container de 15 tonnes qui doit parcourir 10,000 Km il nous faudra compenser pour la partie maritime à concurrence de 40€ et 61€ pour la partie traction terrestre jusqu’à notre entrepôt soit une compensation de 101.5 € soit 0,010€ par bouteille. Je pense que la grande majorité des consommateurs serait prête à payer cette somme pour avoir la diversité de la palette aromatique des terroirs du monde dans un verre. Mais qu’en serait-il pour notre filiale Fruits et légumes du Monde et nos haricots verts ? A 100€ la tonne de carbone, la compensation pour le transfert maritime serait de 14,100 € et la compensation du transport routier devient négligeable comparativement à ce montant. Cela ajoute maintenant pratiquement 1 € au prix de revient de notre kilo de haricots vert. Bien cher pour le privilège d’en consommer hors saison car la valeur gustative des produits de l’agriculture courante est beaucoup moins marquée par le terroir que ceux issus de la viticulture !!
Le diagramme suivant est révélateur de l’efficacité des divers moyens de transport en termes d’émissions carbone
[5].



Emissions de gaz à effet de serre par mode motorisé, en grammes d'équivalent carbone par passager.km..
Sources :
ADEME, INRETS.

Le transport par bateau est 500 moins fois polluant que le transport par avion moyen courrier mais une voiture roulant à l’essence ou au diesel est aussi polluante qu’un avion moyen courrier. Le train est 33 fois moins polluant que la voiture ou l’avion moyen courrier.
Les transports européens par route.
La quasi-totalité de nos transports européens se font par route en général par quantité de 5 palettes soit 4 tonnes par arrivage sur des distances moyennes de 1500 KM jusqu’à nos entrepôt à Bordeaux. La majorité se faisant à partir d’Espagne et d’Italie. Il nous faudrait donc pour « compenser » s’acquitter d’une somme de 30€ soit un montant par bouteille de 0,0020 € pour avoir un effet carbone neutre sur l’environnement. Même à 100€ la tonne de carbone, cela n’ajoute pas un coût significatif à la bouteille de vin (0,008 €).



CONCLUSION,



Pouvons-nous répondre sans ambigüité que l’activité Vins du Monde est une activité qui répond favorablement au concept du développement durable ?



Dans le cade de notre définition sans aucun doute. Par contre, la consommation de denrées périssables qui doivent être acheminées par avion ne l’est plus en l’état actuel des transports.
Mais voilà, la définition est contestée, non sans justifications, par certains des partisans de la « décroissance
[iii]» qui pense que le bien-être des générations futures ne peut être assuré que dans un système de décroissance (ou plutôt une a-croissance) de l’économie et qui trouvent le concept de croissance continue illusoire au regard des limites des ressources de la planète et qu’il y a même urgence à renter le plus vite possible dans un cycle de décroissance. Pour eux, le concept de développement durable est un oxymore[6].
Dans ce cas, l’économie deviendrait plus locale et il faudrait abandonner sans doute une bonne partie des échanges commerciaux qui ont contribués depuis des millénaires au développement de l’humanité.



Le débat est ouvert. Le blog est fait pour cela alors réagissez à cet article !



PS : Cette étude a été réalisée dans le cadre de la préparation de la société Vins Du Monde à la certification environnementale ISO 14001.




[1] Un tel marché peut exister au niveau national ou international si les droits sont rigoureusement de même nature. Il existe en fait plusieurs bourses à Carbone. Seule l’Union européenne a établi des règles contraignantes alors que les USA, la Chine et la Russie, non signataire du protocole de Kyoto, se sont donc, de facto, exclus de ce système de régulation.

[2] Pour plus de renseignement sur la marché du CO2 consulter « qu’est-ce que le prix » du C02 de Jean-Marc Jancovici : http://www.manicore.com/documentation/serre/prix_CO2.html

[3] Free on Board.

[4] Le prix de la tonne de carbone est de 109 € en Suède actuellement.

[6] On dit qu'une expression est un oxymore (ou dite « oxymorique ») lorsqu'elle met côte à côte deux mots ayant des sens opposés et aboutissant à une image contradictoire.


[i] Origines des données utilisées : Observatoire de l’Energie et Jancovici.
[ii] La vie après le pétrole : De la pénurie aux énergies nouvelles.2005. ISBN-10: 2746706059. ISBN-13: 978-2746706057
[iii] Petit traité de la décroissance sereine. Par Serge Latouche. 2007. ISBN-10: 2755500077. ISBN-13: 978-2755500073.
III La Décroissance pour tous.de Nicolas Ridoux2006. ISBN-10: 2841901556 ISBN-13: 978-2841901555

mardi 5 janvier 2010

LE BU ET LE LU

Après une « si longue absence [1]», les deux Singes en hiver sont de retour. Ils s’étaient absentés pour écrire un livre sur leurs tribulations à travers la planète en quête de ces vins « impossibles » dont ils sont si friands. La parution est prévue en mars, chez un grand éditeur. Nous ne révèlerons pas encore lequel, ni le titre, pour faire saliver. En revanche, nous proposons aux lecteurs de ce blog un concours qui consiste à deviner, ce dernier (le titre pas l’éditeur). Celui qui le trouvera ou s’en approchera le plus gagnera quelque chose qui flattera son goût, que nous avons en commun, pour le vin. Quant à l’éditeur, nous nous le révélerons d’ici peu ; nous voulons seulement faire durer le suspense.
Les deux Singes en hiver sont de retour en inaugurant une nouvelle rubrique en hommage à Claude Lévis Strauss, le grand et dernier anthropologue, mort à près de 101 ans, le 30 octobre 2009. Elle s’appelle Le lu et Le bu, en référence à Le cru et le cuit, premier tome de sa série Mythologies paru chez Plon en 1964, qui fut suivi de Du miel aux cendres (1967), L’origine des manières de table (1968), et L’homme nu (1971).
Les deux Singes en hiver tiennent à profiter de la circonstance pour s’insurger contre la manie d’une poignée d’intellectuels français à faire parler les morts, à les convoquer à des débats auxquels ils ne peuvent pas prendre part et pour cause. Ainsi, Claude Lévis Strauss n’était pas encore inhumé qu’il était cité abondamment dans le débat sur l’identité nationale alors que de son vivant il s’était gardé de se prononcer à ce sujet. Il a fallu quelques voix fortes, heureusement il y en a encore, pour mettre fin à cette pratique qui s’apparente à un abus de confiance. Nous, nous ne lui ferons pas dire ce qu’il n’a pas dit. Nous nous contenterons de citer ce jugement : « Le savant n’est pas l’homme qui fournit les vraies réponses, c’est celui qui pose les vraies questions. »
Cette rubrique portera, comme on le devine aisément, sur nos lectures relatives au vin, avec parfois quelques escapades hors de ce domaine de prédilection, si le sujet en vaut vraiment la peine. Nous l’entamons donc par les quatre titres suivants :


- Les 100 mots du vin, Gérard Margeon, Que sais-je ? Puf, août 2009, 9 euros
- Le désir du vin. A la conquête du monde, Jean-Robert Pitte, Fayard, février 2009, 25 euros
- Le voyage insolite de l’amateur de vin, François Morel, Kubik éditions, 2006, 35 euros
- Romanée-Conti 1935, Kaikô Takeshi, traduit du japonais par Anne Bayards-Sakai et Didier Chiche, Picquier pche, 1996, 5 euros


N’ayez crainte, nous n’allons pas vous infliger de longs laïus à leur propos. Les critiques qui réécrivent les livres nous insupportent. Nous voulons simplement vous inciter à les lire parce qu’ils nous ont vraiment plu et donner une ou deux raisons qui ont fait qu’ils nous ont séduits. N’y voyez pas non plus un renvoi d’ascenseurs entre écrivains, entre confrères, parce que d’abord, les deux Singes ne se prétendent pas être écrivains après avoir commis juste un modeste ouvrage, parce qu’ensuite nous n’avons aucune prétention à exercer le magistère de prescripteurs de livres. Nous aimons seulement partager ce que nous aimons.

A tout amateur honnête

Le premier, « Les 100 mots », est l’ouvrage indispensable à tout honnête amateur de vin. Son auteur, chef sommelier des restaurants d’Alain Ducasse, dirige également les ateliers Sommellerie du centre de formation ADF, donc sa compétence est patente, résume avec une grande clarté, avec une précision digne d’un orfèvre ou d’un horloger, tout le savoir de l’œnologie qu’on ne peut ignorer si l’on se targue d’avoir un amour fou pour le nectar de la vigne.
Le premier mot défini est en fait une expression : 45 secondes. Ce laps de temps post-dégustation est recommandé à tout amateur « qui doit faire son choix avant d’acheter ». Il se termine par le mot « vinification ». Entre les deux, ont trouve par exemple cave coopérative, demeter, eau (oui, bien le mot eau à propos du vin), foire aux vins, soleil, soufre, etc…On apprend que la vigne est une liane. On peut lire que « sans un terroir viticole de qualité, inutile de prétendre à la production d’un vin d’équilibre. La main de l’homme et sa connaissance ne pourront que combler en partie certaines déficiences »
Enfin, il énonce une vérité qui mérite d’être répétée à satiété à propos du vin : « De tout temps, les hommes ont apprécié ce breuvage (…) parce qu’ils ont trouvé dans le vin, plus que dans tout autre produit comestible, une diversité de qualité et une saveur inégalée. » Nous pouvons diverger, vous lecteurs et nous Singes, sur bien des sujets mais sur ce point nos avis sont sans conteste unanimes. Oui, le vin c’est « une saveur inégalée ». Indirectement on revient à Lévis Strauss, sous l’autorité duquel est finalement placée cette rubrique. N’était-il pas le théoricien de la diversité humaine et aussi de ses invariants qui donnent au genre humain son unité par delà les apparences ? Le vin est le reflet, le témoin indiscutable, de cette complexité humaine.
- Donc Les 100 mots, un ouvrage indispensable.
- Trois godets décernés par Vins du monde.
- Plus les félicitations des deux Singes en hiver.


Une somme


« Le Désir du vin » est une somme. Une fois lu, on sait tout de l’histoire et de l’avenir du vin. Son auteur, Jean-Robert Pitte, est un géographe-historien, membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, président de l’université Paris IV-Sorbonne de 2003 à 2008. Il est l’auteur de près de 20 ouvrages aux titres aussi variés que ceux-ci, pour n’en citer qu’une poignée qui montre que l’homme est un universitaire éclectique, à l’esprit ouvert donc curieux : Nouakchott, capitale la Mauritanie, Histoire du paysage français, Terre de Castanide, hommes et paysages du châtaignier de l’Antiquité à nos jours, ou encore Gastronomie française, histoire et géographie d’une passion, Le Japon, Le vin et le divin, Jeunes, on vous ment, Stop à l’arnaque du bac. Mais ce n’est pas parce que l’homme fait dans le sérieux que sa plume est indigeste, bien au contraire. La lecture de son livre est gouleyante. En dix chapitres et 329 pages, on a une vue panoramique du vin de son origine à nos jours et travers le monde. Voici quelques titres de chapitres : Le plaisir défendu de l’islam, Luxe, calme et volupté, Une boisson universelle, L’avenir est aux terroirs, Le bonheur de boire du vin.
L’avant-propos nous révèle que la bière est la boisson alcoolisée la plus consommée au monde. Il s’en boit 1,4 milliard hectolitres contre 300 millions de vin, soit en moyenne chaque individu sur terre boit 5 litres de vin par an. Pas mal du tout, mais nous croyons que la consommation des Français qui constitue un des principaux traits de leur identité nationale fausse un peu cette statistique et, quant aux deux Singes, ils sont de loin très, mais très au-dessus de cette moyenne. On apprend que la vigne occupe aujourd’hui 8 millions d’hectares, que le vin donne un emploi à environ entre 3 et 4 millions d’individus sur la planète. Que son chiffre d’affaires mondial représente 120 milliards de dollars (Commentaire des deux Singes : ce n’est pas une bagatelle). Que le chiffre des exportations françaises a représenté en 2007 l’équivalent de 129 Airbus (Alors là les deux Singes en restent sur le cul ; car si, en plus, elle faisait un petit effort commercial comme le font les Argentins ou les Chiliens, la viticulture française pourrait exporter encore beaucoup plus. Elle jouit d’un prestige à nul autre pareil ailleurs dont elle ne sait pas très bien tirer profit).
« Cet essai relève d’une certaine conception de la géographie qui tente de remonter aux sources mentales de la réalité spatiale, dit l’auteur à propos de son livre. Il privilégie les facteurs qui ont contribué à placer le vin au sommet de la culture et donc de l’esprit de liberté de quelques-unes des plus riches civilisations de l’histoire de l’humanité. »
Que ces propos sont doux aux oreilles des deux Singes. Ils se grattent le ventre de satisfaction. Entendre dire ça après quelques foireuses campagnes de dénigrement du jus de la vigne, ça mérite :
- Trois godets.
- Une lecture toute affaire cessante, surtout si on ne veut pas mourir sot.
- Enfin mérite qu’une grande bouteille accompagne la lecture
- Sa lecture constitue un gain de temps formidable. Elle épargne quatre ans d’études universitaires.
- Obligatoire au programme de l’agrégation de géographie.


Un complément au catalogue de Vins Du Monde



« Le voyage insolite » fait partie de la catégorie Beaux livres. Il est très richement illustré. C’est un vrai plaisir de vagabonder en sa compagnie à travers la planète du vin passée et présente. De la coulée de Serrant aux vins du Liban, ils dressent le portrait de cinquante vins. C’est le complément indispensable au catalogue de Vins du monde. C’est un livre indispensable à l’amateur de vin cultivé. Ainsi, la série de portraits se termine sur les vins chinois, comme le Dragon seal, un gamay 2003, « un rouge simple aux notes de petits fruits rouges et de cerise dans style plutôt rustique ».
L’auteur, François Morel, est bien connu dans le monde du vin. Auteur de nombreux livres dont certains chez un éditeur cher aux deux Singes, il est considéré comme « l’encyclopédiste du vin ». Il est le rédacteur en chef de Rouge et Blanc. L’ouvrage manque un peu de cette touche humaine qui reflèterait la personnalité de l’auteur. Le livre est presque trop parfait, un peu froid, et l’auteur un peu trop effacé ; mais c’est le propre de ce genre de livre. A force de vouloir être beau, ils sont un peu trop lisses, un peu comme les pin-up de calendrier. Cela dit, elles sont bien agréables à mater ces pin-up, ce n’est pas les routiers qui nous démentiront. C’est donc un livre a feuilleter, un peu en cachette, comme on parcourait autrefois des ouvrages licencieux, au coin d’un feu de cheminée, un soir d’hiver, bien calé dans un fauteuil club, avec un verre de fine champagne à une main et un havane en bouche. Il mérite donc :
- Trois godets.
- Les félicitations spéciales des deux Singes pour les illustrations et pour le style de l’auteur.
- A être consommer lentement pour mieux le savourer.
- Le froid de cet hiver est arrivé à point nommé à condition d’avoir ce Voyage insolite entre les mains.


La perle


Le romanée-conti 1935, c’est une petite perle, à lire avec délectation, à consommer sans modération, autrement dit à lire et relire jusqu’à plus soif. C’est la découverte par un Japonais de ce grand cru et la révélation de l’enchantement qu’il en a résulté. Voici comment commence le récit : « Un dimanche d’hiver, tard dans l’après-midi, deux hommes étaient assis face à face dans le restaurant d’un gratte-ciel d’acier et de verre. Cirée avec soin, la lourde table en bois de châtaignier, aux dimensions respectables, luisait comme un lac, les veines du bois reflétaient l’ombre d’un vase orné d’une rose. Deux bouteilles de vin étaient posées là, l’une debout, l’autre couchée dans un panier. Ils étaient seuls dans la salle. »
Vous voulez connaître la suite, n’est-ce pas ? Ne soyez pas radin, courrez l’acheter et vous serez vous aussi enchanté. Juste pour exciter encore un peu plus votre curiosité, voilà ce qui est dit du vin : « Ce rouge regorgeait d’une profondeur indicible, et près de son noyau sombre semblait tapi quelque continent, une forêt vierge, un abîme. » Une fois en bouche « on pouvait le rouler, le casser, le briser, jamais il ne s’écroulait. Et quand, finalement, en le faisant glisser vers la gorge, on essayait de percevoir ce que la goutte dévoile au moment de dévaler le ravin, on ne rencontrait qu’une aisance exempte du moindre trouble. » C’est un écrivain japonais qui le dit… c’est un regard venu d’ailleurs, d’une culture étrangère au vin jusqu’à l’ère Meiji. L’auteur a de la plume et l’homme aime le vin, avec passion. A lire en priorité pour savoir comment on peut éprouver un coup de foudre pour le vin.
- Trois godets avec mention plus.
- A recommander en tout lieu, en tout moment, en tout milieu.
- Pour le plaisir solitaire qu’est la lecture.

A bientôt, pour d’autres lectures, si vous le voulez bien. N’oubliez pas, il va y avoir bientôt un concours. Donc soyez assidus et attentifs.

PS : Les deux Singes en hiver ont une primeur. Le mensuel de voyages Ulysse prépare un numéro spécial sur les vignobles du monde pour avril. On en reparlera le moment venu.


[1] Film d’Henri Colpi, 1961, scénarion de Marguerite Duras ee Gérard Jarlot, dans les deux principaux rôles Alida Valli et Geroges Wilson.