mardi 5 janvier 2010

LE BU ET LE LU

Après une « si longue absence [1]», les deux Singes en hiver sont de retour. Ils s’étaient absentés pour écrire un livre sur leurs tribulations à travers la planète en quête de ces vins « impossibles » dont ils sont si friands. La parution est prévue en mars, chez un grand éditeur. Nous ne révèlerons pas encore lequel, ni le titre, pour faire saliver. En revanche, nous proposons aux lecteurs de ce blog un concours qui consiste à deviner, ce dernier (le titre pas l’éditeur). Celui qui le trouvera ou s’en approchera le plus gagnera quelque chose qui flattera son goût, que nous avons en commun, pour le vin. Quant à l’éditeur, nous nous le révélerons d’ici peu ; nous voulons seulement faire durer le suspense.
Les deux Singes en hiver sont de retour en inaugurant une nouvelle rubrique en hommage à Claude Lévis Strauss, le grand et dernier anthropologue, mort à près de 101 ans, le 30 octobre 2009. Elle s’appelle Le lu et Le bu, en référence à Le cru et le cuit, premier tome de sa série Mythologies paru chez Plon en 1964, qui fut suivi de Du miel aux cendres (1967), L’origine des manières de table (1968), et L’homme nu (1971).
Les deux Singes en hiver tiennent à profiter de la circonstance pour s’insurger contre la manie d’une poignée d’intellectuels français à faire parler les morts, à les convoquer à des débats auxquels ils ne peuvent pas prendre part et pour cause. Ainsi, Claude Lévis Strauss n’était pas encore inhumé qu’il était cité abondamment dans le débat sur l’identité nationale alors que de son vivant il s’était gardé de se prononcer à ce sujet. Il a fallu quelques voix fortes, heureusement il y en a encore, pour mettre fin à cette pratique qui s’apparente à un abus de confiance. Nous, nous ne lui ferons pas dire ce qu’il n’a pas dit. Nous nous contenterons de citer ce jugement : « Le savant n’est pas l’homme qui fournit les vraies réponses, c’est celui qui pose les vraies questions. »
Cette rubrique portera, comme on le devine aisément, sur nos lectures relatives au vin, avec parfois quelques escapades hors de ce domaine de prédilection, si le sujet en vaut vraiment la peine. Nous l’entamons donc par les quatre titres suivants :


- Les 100 mots du vin, Gérard Margeon, Que sais-je ? Puf, août 2009, 9 euros
- Le désir du vin. A la conquête du monde, Jean-Robert Pitte, Fayard, février 2009, 25 euros
- Le voyage insolite de l’amateur de vin, François Morel, Kubik éditions, 2006, 35 euros
- Romanée-Conti 1935, Kaikô Takeshi, traduit du japonais par Anne Bayards-Sakai et Didier Chiche, Picquier pche, 1996, 5 euros


N’ayez crainte, nous n’allons pas vous infliger de longs laïus à leur propos. Les critiques qui réécrivent les livres nous insupportent. Nous voulons simplement vous inciter à les lire parce qu’ils nous ont vraiment plu et donner une ou deux raisons qui ont fait qu’ils nous ont séduits. N’y voyez pas non plus un renvoi d’ascenseurs entre écrivains, entre confrères, parce que d’abord, les deux Singes ne se prétendent pas être écrivains après avoir commis juste un modeste ouvrage, parce qu’ensuite nous n’avons aucune prétention à exercer le magistère de prescripteurs de livres. Nous aimons seulement partager ce que nous aimons.

A tout amateur honnête

Le premier, « Les 100 mots », est l’ouvrage indispensable à tout honnête amateur de vin. Son auteur, chef sommelier des restaurants d’Alain Ducasse, dirige également les ateliers Sommellerie du centre de formation ADF, donc sa compétence est patente, résume avec une grande clarté, avec une précision digne d’un orfèvre ou d’un horloger, tout le savoir de l’œnologie qu’on ne peut ignorer si l’on se targue d’avoir un amour fou pour le nectar de la vigne.
Le premier mot défini est en fait une expression : 45 secondes. Ce laps de temps post-dégustation est recommandé à tout amateur « qui doit faire son choix avant d’acheter ». Il se termine par le mot « vinification ». Entre les deux, ont trouve par exemple cave coopérative, demeter, eau (oui, bien le mot eau à propos du vin), foire aux vins, soleil, soufre, etc…On apprend que la vigne est une liane. On peut lire que « sans un terroir viticole de qualité, inutile de prétendre à la production d’un vin d’équilibre. La main de l’homme et sa connaissance ne pourront que combler en partie certaines déficiences »
Enfin, il énonce une vérité qui mérite d’être répétée à satiété à propos du vin : « De tout temps, les hommes ont apprécié ce breuvage (…) parce qu’ils ont trouvé dans le vin, plus que dans tout autre produit comestible, une diversité de qualité et une saveur inégalée. » Nous pouvons diverger, vous lecteurs et nous Singes, sur bien des sujets mais sur ce point nos avis sont sans conteste unanimes. Oui, le vin c’est « une saveur inégalée ». Indirectement on revient à Lévis Strauss, sous l’autorité duquel est finalement placée cette rubrique. N’était-il pas le théoricien de la diversité humaine et aussi de ses invariants qui donnent au genre humain son unité par delà les apparences ? Le vin est le reflet, le témoin indiscutable, de cette complexité humaine.
- Donc Les 100 mots, un ouvrage indispensable.
- Trois godets décernés par Vins du monde.
- Plus les félicitations des deux Singes en hiver.


Une somme


« Le Désir du vin » est une somme. Une fois lu, on sait tout de l’histoire et de l’avenir du vin. Son auteur, Jean-Robert Pitte, est un géographe-historien, membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, président de l’université Paris IV-Sorbonne de 2003 à 2008. Il est l’auteur de près de 20 ouvrages aux titres aussi variés que ceux-ci, pour n’en citer qu’une poignée qui montre que l’homme est un universitaire éclectique, à l’esprit ouvert donc curieux : Nouakchott, capitale la Mauritanie, Histoire du paysage français, Terre de Castanide, hommes et paysages du châtaignier de l’Antiquité à nos jours, ou encore Gastronomie française, histoire et géographie d’une passion, Le Japon, Le vin et le divin, Jeunes, on vous ment, Stop à l’arnaque du bac. Mais ce n’est pas parce que l’homme fait dans le sérieux que sa plume est indigeste, bien au contraire. La lecture de son livre est gouleyante. En dix chapitres et 329 pages, on a une vue panoramique du vin de son origine à nos jours et travers le monde. Voici quelques titres de chapitres : Le plaisir défendu de l’islam, Luxe, calme et volupté, Une boisson universelle, L’avenir est aux terroirs, Le bonheur de boire du vin.
L’avant-propos nous révèle que la bière est la boisson alcoolisée la plus consommée au monde. Il s’en boit 1,4 milliard hectolitres contre 300 millions de vin, soit en moyenne chaque individu sur terre boit 5 litres de vin par an. Pas mal du tout, mais nous croyons que la consommation des Français qui constitue un des principaux traits de leur identité nationale fausse un peu cette statistique et, quant aux deux Singes, ils sont de loin très, mais très au-dessus de cette moyenne. On apprend que la vigne occupe aujourd’hui 8 millions d’hectares, que le vin donne un emploi à environ entre 3 et 4 millions d’individus sur la planète. Que son chiffre d’affaires mondial représente 120 milliards de dollars (Commentaire des deux Singes : ce n’est pas une bagatelle). Que le chiffre des exportations françaises a représenté en 2007 l’équivalent de 129 Airbus (Alors là les deux Singes en restent sur le cul ; car si, en plus, elle faisait un petit effort commercial comme le font les Argentins ou les Chiliens, la viticulture française pourrait exporter encore beaucoup plus. Elle jouit d’un prestige à nul autre pareil ailleurs dont elle ne sait pas très bien tirer profit).
« Cet essai relève d’une certaine conception de la géographie qui tente de remonter aux sources mentales de la réalité spatiale, dit l’auteur à propos de son livre. Il privilégie les facteurs qui ont contribué à placer le vin au sommet de la culture et donc de l’esprit de liberté de quelques-unes des plus riches civilisations de l’histoire de l’humanité. »
Que ces propos sont doux aux oreilles des deux Singes. Ils se grattent le ventre de satisfaction. Entendre dire ça après quelques foireuses campagnes de dénigrement du jus de la vigne, ça mérite :
- Trois godets.
- Une lecture toute affaire cessante, surtout si on ne veut pas mourir sot.
- Enfin mérite qu’une grande bouteille accompagne la lecture
- Sa lecture constitue un gain de temps formidable. Elle épargne quatre ans d’études universitaires.
- Obligatoire au programme de l’agrégation de géographie.


Un complément au catalogue de Vins Du Monde



« Le voyage insolite » fait partie de la catégorie Beaux livres. Il est très richement illustré. C’est un vrai plaisir de vagabonder en sa compagnie à travers la planète du vin passée et présente. De la coulée de Serrant aux vins du Liban, ils dressent le portrait de cinquante vins. C’est le complément indispensable au catalogue de Vins du monde. C’est un livre indispensable à l’amateur de vin cultivé. Ainsi, la série de portraits se termine sur les vins chinois, comme le Dragon seal, un gamay 2003, « un rouge simple aux notes de petits fruits rouges et de cerise dans style plutôt rustique ».
L’auteur, François Morel, est bien connu dans le monde du vin. Auteur de nombreux livres dont certains chez un éditeur cher aux deux Singes, il est considéré comme « l’encyclopédiste du vin ». Il est le rédacteur en chef de Rouge et Blanc. L’ouvrage manque un peu de cette touche humaine qui reflèterait la personnalité de l’auteur. Le livre est presque trop parfait, un peu froid, et l’auteur un peu trop effacé ; mais c’est le propre de ce genre de livre. A force de vouloir être beau, ils sont un peu trop lisses, un peu comme les pin-up de calendrier. Cela dit, elles sont bien agréables à mater ces pin-up, ce n’est pas les routiers qui nous démentiront. C’est donc un livre a feuilleter, un peu en cachette, comme on parcourait autrefois des ouvrages licencieux, au coin d’un feu de cheminée, un soir d’hiver, bien calé dans un fauteuil club, avec un verre de fine champagne à une main et un havane en bouche. Il mérite donc :
- Trois godets.
- Les félicitations spéciales des deux Singes pour les illustrations et pour le style de l’auteur.
- A être consommer lentement pour mieux le savourer.
- Le froid de cet hiver est arrivé à point nommé à condition d’avoir ce Voyage insolite entre les mains.


La perle


Le romanée-conti 1935, c’est une petite perle, à lire avec délectation, à consommer sans modération, autrement dit à lire et relire jusqu’à plus soif. C’est la découverte par un Japonais de ce grand cru et la révélation de l’enchantement qu’il en a résulté. Voici comment commence le récit : « Un dimanche d’hiver, tard dans l’après-midi, deux hommes étaient assis face à face dans le restaurant d’un gratte-ciel d’acier et de verre. Cirée avec soin, la lourde table en bois de châtaignier, aux dimensions respectables, luisait comme un lac, les veines du bois reflétaient l’ombre d’un vase orné d’une rose. Deux bouteilles de vin étaient posées là, l’une debout, l’autre couchée dans un panier. Ils étaient seuls dans la salle. »
Vous voulez connaître la suite, n’est-ce pas ? Ne soyez pas radin, courrez l’acheter et vous serez vous aussi enchanté. Juste pour exciter encore un peu plus votre curiosité, voilà ce qui est dit du vin : « Ce rouge regorgeait d’une profondeur indicible, et près de son noyau sombre semblait tapi quelque continent, une forêt vierge, un abîme. » Une fois en bouche « on pouvait le rouler, le casser, le briser, jamais il ne s’écroulait. Et quand, finalement, en le faisant glisser vers la gorge, on essayait de percevoir ce que la goutte dévoile au moment de dévaler le ravin, on ne rencontrait qu’une aisance exempte du moindre trouble. » C’est un écrivain japonais qui le dit… c’est un regard venu d’ailleurs, d’une culture étrangère au vin jusqu’à l’ère Meiji. L’auteur a de la plume et l’homme aime le vin, avec passion. A lire en priorité pour savoir comment on peut éprouver un coup de foudre pour le vin.
- Trois godets avec mention plus.
- A recommander en tout lieu, en tout moment, en tout milieu.
- Pour le plaisir solitaire qu’est la lecture.

A bientôt, pour d’autres lectures, si vous le voulez bien. N’oubliez pas, il va y avoir bientôt un concours. Donc soyez assidus et attentifs.

PS : Les deux Singes en hiver ont une primeur. Le mensuel de voyages Ulysse prépare un numéro spécial sur les vignobles du monde pour avril. On en reparlera le moment venu.


[1] Film d’Henri Colpi, 1961, scénarion de Marguerite Duras ee Gérard Jarlot, dans les deux principaux rôles Alida Valli et Geroges Wilson.

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