mardi 2 mars 2010

ERNEST, CHARLES, ANTOINE ET LES DEUX SINGES EN HIVER

D’accord, vous allez dire que ce titre ça sent le plagiat, que ça rappelle cette comédie futile de Claude Sautet de 1974, avec Yves Montand, Michel Piccoli, Serge Reggiani et, en appoint un jeune acteur au talent prometteur, Gérard Depardieu, capable de se fondre dans n’importe quel rôle, sublimer un personnage quelconque, qui était intitulée Vincent, François, Paul et les autres… Erreur crasse, ce titre n’annonce pas comme il semble le suggérer un « remake ». Le cinéma n’est plus le fort des Deux singes en hiver, dont les prénoms sont, à toutes fins utiles, Claude et Ricardo.

Les Ernest, Charles et Antoine sont Hemingway, Bukowski et Blondin, trois écrivains à l’égard desquels les Deux singes sentent comme une filiation. Pour la filiation, vous dîtes tout de suite sans réfléchir : bien sûr, la bouteille. Pas entièrement faux, pas entièrement exact. A partir du 24 mars, les Deux singes auront quelque chose de commun en plus avec eux. Le premier qui réagit et devine ce que sera ce point commun gagnera une bonne bouteille que Vins du monde détient dans sa cave.

Pour vous aider à trouver, voici quelques éléments biographiques des trois hommes de plume qui vivaient avant ce qu’ils allaient écrire.

Papa Hemingway était américain. Il était né le 21 juillet 1899 et s’était suicidé le 2 juillet 1961. Il chassait, il pêchait, il était un aficionado de corridas, il aimait la boxe. Il a dit un jour : « On ne dérange pas un homme qui boit » car c’était quand il buvait, accoudé au bar de la Floridita à La Havane, qu’il écrivait dans sa tête ses livres. C’est en buvant qu’il a pondu « Le vieil homme et la mer » qui lui a valu le prix Nobel. Il est le seul des trois à avoir reçu le plus prestigieux prix littéraire de la terre. Il a participé à la 1ère guerre mondiale, à la guerre d’Espagne et au débarquement en 1944 en Normandie. Il est la figure emblématique de ce qu’on appelait « La génération perdue ». Son style direct et sec, il l’a façonné en Espagne, dans ses reportages. Les Deux singes aiment beaucoup Papa parce qu’il a dit : « Tout homme intelligent est parfois obligé d’être saoul pour passer du temps avec des imbéciles».

Bukowski, alias Hunk, Buk, Henry Chinaski, est « le gros dégueulasse » qui scandalisa le Paris des lettres en se pointant complètement bourré à l’émission Apostrophes de Bernard Pivot, en 1978. Cette émission, c’était les vêpres de l’intelligentsia d’alors. Le subversif Cavanna de Charly Hebdo aida à ce qu’on foute Buk à la porte de l’émission. Car il y a des choses qui ne se font pas : être bourré à une émission littéraire. Personne ne se souvient des autres invités. En revanche de Buk avec son gros pif, sa gueule vérolée, sa barbe mal taillée, sa tignasse rejetée en arrière, et son élocution pâteuse, on s’en souvient encore. Il était né le 16 août 1920 en Allemagne. En fait il était Allemand de naissance, mais il mourut Américain le 9 mars 1994 (ne voir aucune relation entre la nationalité et le décès). Si on précise les jours de sa naissance ainsi que ceux d’Ernest et d’Antoine, c’est parce qu’il y en a qui croit aux balivernes des astres, à ces trucs de prédestination. Nous, nous avons adopté une philosophie : ne contrarier personne, et depuis, on n’a que des amis qui nous paient des coups. Suivez notre exemple quand vous êtes dans la dèche… Buk a eu une enfance malheureuse. Son père n’arrêtait pas de lui filer des roustes. Un jour, il avait 16 ans, à son tour, il a filé une toise au paternel et a quitté la maison. Sa carrière littéraire venait de commencer… Il est le seul écrivain qui peut se venter d’avoir été un véritable homme de lettres. Pendant de très nombreuses années, il a été facteur. Il n’a pas fait partie de la « Beat Generation », comme on le croit communément. Ses maîtres étaient Hemingway, Céline, Camus, Dostoïevski et John Fante. Quand il avait du fric, il allait le dépenser sur les champs de courses. Pour les Deux singes, il est le « paumé qui a réussi ». C’est un vrai exploit sociologique de réussir quand on est un paumé. Il a dit : « Les gens qui n’ont jamais un moment de folie : quelle horreur leur vie », ou encore, « il paraît moins grave de causer sa propre mort que celle des autres. » Cent pour cent d’accord, ajoutent les Deux singes.

Enfin, Blondin, le cadet puisqu’il est né le 11 avril 1922 et est mort le 7 juin 1991, est un peu notre père putatif. Il a couvert tous les Tours de France de 1954 à 1982. Une de ses chroniques s’est intitulée « La légende des cycles ». Il fallait trouver. Chapeau Monsieur Jadis, le Flâneur de la rive gauche. Son style classique, sobre, brillant, a fait qu’on l’a situé entre Stendhal et Jules Renard. Pour nous, il est et il restera « le pédaleur du stylo », le «Darrigade de la feuille blanche » (seuls les vieux comprendront). Ses chroniques qu’il écrivait à la va-vite à l’arrivée de chaque étape, il les écrivait après plusieurs ravitaillements liquides. Bref, il était sérieusement bourré d’où leur charme déconcertant. Elles sont un modèle pour tout apprenti chroniqueur. Il aimait aussi le rugby, pour la beauté épique de ce sport et aussi parce qu’il y avait en ce temps-là une vraie troisième mi-temps. Les Deux singes aiment ces deux citations de lui, très symptomatiques de son ton : « Après la guerre mondiale, les trains recommencèrent à rouler. J’en ai profité pour quitter ma femme et mes enfants. », ou encore, « Toutes les femmes sont fatales ; on commence par leur devoir la vie, elles finissent par causer votre perte. »

Une lecture de cette chronique attentive vous fera découvrir quel point commun nous aurons avec ces trois écrivains au penchant pour la bouteille affirmé. Le 24 mars, va être une date, un tournant. Oui, vous chauffez, c’est presque ça. Cherchez, vous trouverez, vous n’êtes pas loin, et le premier gagne une bouteille. En attendant, nous filons au bistro du coin, le Cyrano, place de Clichy, retrouvez Ernest, Charles, Antoine, et un autre copain qui, accoudé au bar comme si c’était jour de tempête en Vendée, ne cesse de répéter : « Ah, la salope ! Pouvais pas m’en douter qu’elle partirait avec un alpiniste… »




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