mercredi 24 juin 2009

LA VGNE ET LE TABAC, une étrange similitude

CUBA : ON CHERCHAIT LA VIGNE ET LE VIN, ON TROUVA LE TABAC

Le cigare est le signe extérieur d’une richesse intérieure
Anne marie de Rougemont

Le cigare est le complément de toute vie élégante
Georges Sand


On considère en général que la culture de la vigne et la transformation du raisin en vin est un des processus les plus complexes qui existe. On va même parfois jusqu’à parler d’alchimie. On peut se demander si la culture du tabac et la fabrication des cigares ne dépassent pas en complexité et en savoir-faire celui de la culture de la vigne et de l’élaboration du vin en ce qu’elle ne fait appel à aucun processus de mécanisation à Cuba. Tout est réalisé manuellement et sans l’ajout de produits phytosanitaires.


Le terroir : Un concept aussi poussé pour la culture du tabac que pour la culture de la vigne.

Bien que l’on trouve des plantations de tabac reparties sur toute l’ile, le terroir (les variables qui déterminent les conditions optimums de culture) le plus favorable se situe dans la région de la Vuelta Abajo à l’ouest de l’île, autour des villes San Luis et San Juan Y Martinez.




Cette région est au tabac ce que les la Côte de Nuit et la Côte de Beaune sont aux grands crus et les aux premiers crus bourguignons. Le reste de l’ile produit l’équivalent des villages, des Côtes et les Hautes Côtes de Beaune et de Nuit.
Une des composantes majeures du terroir est le sol. Le tabac préfère des sols d’origine sablonneuse, donc pauvres, tout comme la vigne, de façon à faciliter un drainage rapide. Comme la vigne, le tabac à horreur d’avoir les pieds dans l’eau. Le compactage des sols suite aux passages des tracteurs, fortement remis en question dans la culture de la vigne, est totalement proscrit pour le tabac au profit de la traction animale dans le travail du sol.

Les deux autres composantes majeures du terroir, le degré d’ensoleillement et la pluviométrie sont tout aussi importants. La température idéale pour la culture du tabac est de 23 à 28 0C, similaire en tout point à celle de la culture de la vigne en phase active. Les pluies sont insuffisantes pendant la période du développement de la plante. Il faut donc irriguer avec la même rigueur que pour la vigne et éviter tout excès.
L’Humidité toujours élevée (nous sommes sous les tropiques) contribue aussi au développement de la chlorophylle et des polyphénols comme pour la vigne.
Le cycle végétatif de la plante de tabac est en tout point similaire à celui de la vigne dans l’hémisphère sud avec une récolte qui s’étend de décembre à mi-mars.



Le terroir et les hommes : pas de grands terroirs sans grands hommes

Les grands terroirs sont autant hérités qu’ils sont créés. Comme pour la vigne, les grands terroirs à tabac se façonnent au fil du temps par l’observation et le savoir-faire des hommes. Alejandro Robaina 90 ans aujourd’hui, cultivateur et fumeur de tabac depuis l’âge de dix, est le plus célèbre éleveur de capes .
Depuis des années, 70% de sa récolte est utilisée pour les capes de cigares (la feuille plus prestigieuse) alors que les autres domaines de la région ne connaissent en la matière qu’une réussite de l’ordre de 35%. Quand on lui demande, autour d’un café et d’un Havane, pourquoi il a un tel taux de réussite il nous répond « Je récolte en fin janvier, car février peut être un mois difficile pour le tabac ». Quand on lui suggère que la qualité de son terroir et son expérience lui permettre de récolter un mois avant les autres, il répond « non pas du tout, mais le tabac m’aime autant que je l’aime alors pour moi ses feuilles poussent plus vite et mieux ». Ce qu’oublie de dire le vieux Robaina, c’est que la propriété existe depuis 1845 et est la plus vieille de la région et que fort de son expérience et de la connaissance transmise de génération en génération, il tire le meilleur de son terroir.



Les plantes de tabac : l’équivalent des cépages? De la diversité mais quand même moindre que pour la vigne

Deux grandes familles se partagent la paternité du tabac, le Criollo qui pousse en plein air et le Corojo, plus fragile, qui a besoin d’être sous le couvert de serres en coton (tapados) pour se protéger des vents et de la chaleur excessive qui lui sont néfastes. Leur manque de résistance à toute maladie parasitaire a poussé les chercheurs à développer d’autres variétés si bien qu’aujourd’hui il en existe quatorze à Cuba. Les cépages viticoles se dénombrent par milliers.


La récolte du tabac : une « vendange » par tris sélectifs ?

Les feuilles de tabac sont récoltées par un système de tris sélectifs comme le sont certains raisins dans les vignes. Même si ce processus est plus répandu pour produire des vins liquoreux, il est aussi pratiqué pour certains cépages comme le Sauvignon Blanc (pour un mariage maturité-acidité optimum) et dans certains vignobles d’exception. Warren Winarski, ancien propriétaire de domaine de Stag’s Leap Wine Cellars dans la Napa Valley en Californie, m’assurait que sur ses vignobles de Fay et de Stags Leap, deux vignobles adjacents sur le plat et d’une longueur d’environ 500 mètres chacun, il y avait souvent un mois de différence entre la maturation des raisins entre différentes parties du vignoble.
Pour la récolte du tabac, on procède aussi par un système de tris, les feuilles les plus proches du sol étant récoltées les premières. On remonte ainsi en 6 ou 7 tris pour récolter toutes les feuilles de la plante. Le début de la coupe est en tout point similaire à la déclaration de vendange. Plus la feuille est haute plus la concentration en substances est élevée.



Le séchage : Une concentration des aromes comme pour certains vins liquoreux

Les feuilles sont séchées suspendues sur des barres transversales dans des abris en bois perméables aux vents et à l’humidité qui doit se situer entre 70 et 80%. Les feuilles virent au jaune sous l’effet de l’oxydation des polyphénols. Cela n’est pas sans rappeler le système du passerillage pour les raisins où l’eau contenue des grains s’évapore au fils du temps concentrant ainsi les aromes, les saveurs et le sucre.




La fermentation : Tout aussi nécessaire pour le tabac que pour le vin.

Une fois séchées, les feuilles de tabac sont emballées dans des sacs de toile où elles fermentent sous l’effet de l’humidité encore présente en elles. Celles-ci subissent une deuxième fermentation lorsqu’elles sont réhumidifiées par une préparation d’eau dans laquelle ont baigné des feuilles de tabac.


L’Elevage : dans le même esprit que pour celui du vin.

Une fois fermentées, les feuilles sont réunies en ballot où elles acquièrent avec le temps une harmonie comme le vin qui, élevé en barrique, s’oxygène, s’affine et se débarrasse de ses aspérités et intègre ses tanins.
Là s’arrête le travail du planteur de tabac et commence celui des grandes manufactures sous le control de l’Etat dont la plus célèbre, Partagas, se trouve en plein centre de la Havane. Les feuilles sont transférées aux manufactures dans des toiles de jute pour les feuilles de tripes et dans des ballots faits à partir d’écorce de palmier pour les feuilles de capes. Il est à noter que certaines feuilles peuvent subir une troisième fermentation, qui s’effectue sous les toits des manufactures de tabacs et dans des tonneaux en bois en position verticale. Elle peut durer plusieurs mois ou plusieurs années, en particulier pour les feuilles destinées à faire la cape du cigare. La troisième fermentation est l’image de marque des cigares que fumait Fidel Castro de 1981 à 1986, et qui a donné naissance à la marque Cohiba.



La fabrication du cigare ou l’art de l’assemblage à la champenoise:

Le tabac est classé feuille par feuille suivant sa taille, sa couleur, sa forme, sa texture, sa souplesse, ses nervures pour constituer les assemblages (les ligadas) pour les différentes marques. Si on devait décrire la fabrication du cigare en terme viticole, le cigare serait l’équivalent d’un vin d’assemblage sur plusieurs millésimes en tout point comparable à l’élaboration d’un champagne non millésimé. On recherche une consistance de style pour chaque marque (comme en Champagne) et qui peut facilement être identifiée d’année en année et d’une marque à l’autre. Le chef des ligadas (assemblages), c’est l’équivalent du maitre de chai. Même les rouleurs (torcedor) ne connaissent pas la composition de l’assemblage. Le cigare comprend 5 feuilles (sélectionnées pour chaque marque et chaque cigare), trois feuilles pour la tripe, une feuille pour la sous cape et une feuille pour la cape.




La bague et la boite du Cigare : un habillage comparable à celui de la bouteille mais avec moins de détails.

La bague du cigare indique seulement la marque du cigare et en général la provenance « Habano ». Par contre aucune mention du type de cigares ni du format qui elles se trouvent sur la boite faite en cèdre de Cuba. Il est donc préférable de conserver ses cigares dans les boites quand on le peut car on oublie vite le type de cigares.






Certaines éditions spéciales portent la mention de l’année du roulage sur une bague additionnelle.





La quarantaine du cigare avant la mise sur le marché : L’équivalent de la maladie de bouteille pour les vins

Le cigare subit une quarantaine (qui peut durer plus de quarante jours) pour résorber l’humidification subie pour faciliter son roulage. C’est en général l’épaisseur de la feuille qui détermine la durée de la quarantaine. Similairement les viticulteurs aiment mettre leur vin en quarantaine pour un minimum de 6 mois après la mise en bouteille pour résorber les effets néfastes de la filtration et de l’ajout de soufre à l’embouteillage qui a tendance à masquer le fruit du vin et à le déséquilibrer.


Les millésimes: pas encore aussi développés que pour le vin mais on y vient

Il y a des variations qualitatives d’année en année qui se traduisent par la mention du millésime pour les vins mais aussi pour les cigares. Concernant ces derniers, on utilise le concept de « millésime » pour certaines éditions spéciales.
Jusqu’il il y quelques années, on ne différenciait pas leurs millésimes. On savait qu’il y avait des grandes années à tabac (1958-1959, 1964-1965). Aujourd’hui, on voit apparaître de plus en plus des séries limitées portant l’année où le cigare a été roulé (pas l’année de la récolte), surtout pour les grandes marques comme Cohiba, Trinidad et Partagas. C’est un peu similaire au système de déclaration des « vintage » pour le porto (car seules les grandes années sont déclarées vintage), ce qui les différencie qualitativement avec toute gamme de portos (Ruby, Tawny, Vintage character, etc…) sans indication de millésime donc de qualité inférieure.
Pour le cigare c’est plutôt un gage de qualité et il indique que celui-ci a été roulé avec les meilleures feuilles donc avec celles produites dans les meilleures années mais pas toutes de la même. C’est l’année du roulage qui fait en conséquence office de « millésime ».



Le vieillissement: en tout point comparable à celui du vin

Tout comme le vin, le cigare à la capacité de vieillir et de se bonifier avec le temps. Le minimum de vieillissement est d’au moins 15 ans voire souvent plus. Tout comme le bon vin, le cigare va s’améliorer avec le temps. Les différentes composantes des feuilles vont se marier. Il acquière de la soyausité, de l’harmonie et de l’équilibre comme les grands vins.
Il faut des conditions idéales pour la conservation du cigare comme pour le vin. Une température constante de 18 0C (contre 12-13 0C pour le vin) et une humidité d’environ 65-75, très similaire à celle idéale pour la conservation du vin. L’excès d’humidité et les basses températures ne sont pas plus néfastes pour le vin que pour le cigare. L’excès d’humidité est parfaitement compatible avec le développement du vin. Il suffit de visiter certaines caves de la Loire pour s’en rendre compte. Par contre, ce sont les étiquettes des bouteilles qui soufrent et se dégradent rapidement dans des conditions de stockage trop humides. De la même façon, le cigare conservé à une température trop basse développera une fine couche de poudre blanche due à une attaque cryptogamique. Elle présente aucun danger pour le cigare, ni pour le fumeur. Il conviendra de l’enlever avec un pinceau.
Par contre, tout excès anormal de température pour les vins comme pour le cigare est à bannir car il fait subir au vin, au mieux, un vieillissement prématuré et au pire le transforme en mauvais vinaigre. Pour le cigare, l’excès de température l’expose à une infestation parasitaire (le lasioderma Serricorne, une sorte de coléoptère de la famille des anobiidae) qui perfore la cape du cigare le rendant ainsi infumable.



Le plaisir du cigare : un moment de convivialité ou moment de réflexion personnel

Ernest Hemmingway disait que le cigare était l’équivalent quotidien de madeleine de Proust . A l’origine, Les cigares furent d’abord consommés dans les communautés religieuses pour permettre d’établir une passerelle entre le représentant des dieux sur terre et les dieux eux-mêmes. Fumer dans le recueillement est propice à la rêverie et à été source d’inspiration pour des écrivains comme Baudelaire et Mallarmé.
Pour ma part, je n’aime pas fumer en groupe et je fuis les clubs de cigares. J’aime fumer le cigare seul où avec un ami car l’amitié se mesure souvent à la qualité des silences si propice aux plaisirs du cigare. Seuls quelques vins exceptionnels demandent pour moi ce degré de recueillement. Le cigare pousse plus à l’introspection et le vin à l’exubérance surtout en compagnie.
Plusieurs ouvrages ont été publiés sur le mariage du cigare et des vins et alcool et ce sujet est très personnel.
Je n’ai jamais trouvé le mariage du vin et du cigare approprié, peut-être par que je préfère les cigares de grandes densité, forts en aromes et en goût (Cohiba, Partagas, Trinidad). Les alcools, Cognac, Armagnac, très prisés de beaucoup, sont trop forts en alcool à mon goût. Le madère et les porto me semblent mieux équilibrés pour les cigares, surtout les portos Vintage avec un peu d’âge. J’aime, soit la complémentarité, particulièrement celle du madère du type Sercial (le plus sec) car il équilibre bien les saveurs du cigare tout en laissant la bouche fraiche, ou le contraste, avec un whisky iodé (Single malt) de Glenmorengy ou Laphroaig sur glace, qui redonne une fraîcheur en bouche à chaque gorgée élimant ainsi la fatigue du palais due aux résidus de la combustion du tabac.
Mais peut-être le mélange que je préfère c’est un grand Arabica de Colombie allongé d’un très vieux rhum de la Martinique. La complexité, café, rhum, tabac, atteint son paroxysme et son équilibre le plus sublime, aucun des composants ne dominant l’autre, tous se mariant en une farandole d’aromes et de saveurs et pour lesquelles il faudrait utiliser tous les mots de la langue française des sens pour commencer à en appréhender la complexité.
Hemingway mariait ses cigares au rhum et sélectionnait aussi ses cafés en fonction de ses rhums.
Comme j’aurais voulu partager son talent pour l’écriture…!!

NB : Il n’y a aucun vin digne d’intérêt à Cuba. Il ya bien quelques vignes (gardé par les militaires) et une cave (que l’on ne peut pas visiter, secret décence sans doute !!).
La majorité du vin cubain est fait à partir de mout de raisin importé du Chili.


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