mercredi 18 novembre 2009

LA GUEULE DE BOIS: MAIS QU'EST-CE DONC ?

La première sensation du retour de mes sens et de ma mémoire fut mes premiers pas dans une chambre étrange et lugubre. Ma tête me faisait horriblement mal et j’avais des douleurs dans tous les membres ainsi que des nausées qui s’atténuèrent un peu quand je pus vomir copieusement. En sortant du lit, je vis par l’unique fenêtre, rien d’autre que l’arrière de vieilles maisons d’où apparaissaient des signes variés de pauvreté. A ce moment précis, je ne pense pas qu’il ait existé dans le monde une créature plus misérable que moi. J’ai passé des moments dans un état proche du désespoir.
William Hickey
[1](Spencer 1913)

N’ayons pas la langue de bois et disons le haut et fort : celui qui n a jamais eu une gueule de bois dans notre activité est un fieffé menteur ou un représentant atypique de la profession.

Une gueule de bois est un ensemble de facteurs physiques et mentaux déplaisants qui se produisent après une période de consommation excessive d’alcool. En général, plus la consommation est excessive et s’étend dans le temps plus les symptômes sont importants.

On peut les classifier en plusieurs groupes [i] :

Table 1

Les troubles fonctionnels : Fatigue, faiblesse, soif.
Les douleurs : Maux de tête et douleurs dans les muscles
Les troubles gastro-intestinaux : Nausées, vomissements, diarrhées et douleurs intestinales
Les troubles cognitifs Perte de concentration et d’attention
Les troubles sensoriels : Vertiges, sensibilité à la lumière et au son
Les troubles de l’humeur Dépression, anxiété, irritabilité
Les troubles du sommeil : Manque de sommeil, réduction du REM [2]
Hyperactivité du système nerveux : Tremblements, sudation, tachycardie

Table 2 Les possibles facteurs contributeurs de la gueule de bois

Les effets directs de l’alcool
Déshydratation
Déséquilibre électrolytique
Troubles intestinaux
Hypoglycémie
Trouble du sommeil et du cycle normal de vie
Le sevrage
Le métabolisme de l’alcool et la toxicité des produits intermédiaires
Les effets dus aux produits autres que l’alcool.
Les congénères [3]
L’utilisation d’autres drogues en particulier la nicotine et le type de personnalité du buveur et son histoire familiale

LES EFFETS DIRECTS DE L’ALCOOL

La déshydratation et le déséquilibre électrolytique :

L’alcool est un diurétique. L’absorption de 50 grammes d’alcool dans 250 d’eau provoque l’élimination entre 600 et 1000 ml de fluide[ii]. L’alcool promeut la production d’urine en réduisant la production d’une hormone de l’hypophyse[4], la vasopressine.
De même, la réduction de cette hormone diminue la réabsorption du fluide par les reins ce qui accroît en retour la production d’urine.

Conclusion : Ne dite jamais de quelqu’un qui boit de l’alcool que c’est un boit sans soif !! Il a des bonnes raisons de le faire !!

Les troubles gastro-intestinaux:

L’alcool peut irriter directement la paroi intestinale et retarder la vidange gastrique surtout quand l’alcool absorbé est au dessus de 15 o [iii]. Ce processus de retardement a pour but de limiter la concentration des produits intermédiaires toxiques du métabolisme de l’alcool, en particulier l’acétaldéhyde (voir ci-dessous). L’alcool aussi accroît la production d’acide gastrique ainsi que les sécrétions pancréatiques et l’accumulation de triglycérides dans le foie. Un ou plusieurs de ces phénomènes peut contribuer aux troubles gastro-intestinaux.

L’hypoglycémie :

Le métabolisme de l’alcool résulte en une accumulation de triglycérides et en une accumulation de produits intermédiaires du métabolisme, en particulier l’acide lactique. Ces deux facteurs ont pour effet de réduire la production de glucose. Cependant, ce type de complication ne se produit le plus souvent que lorsque la consommation d’alcool s’étend sur plusieurs jours et que l’alimentation est irrégulière épuisant ainsi les réserves en glucose. Parce que le glucose est une source première d’énergie du cerveau, l’hypoglycémie peut exacerber les symptômes de la gueule de bois (fatigue, irritabilité, altération de l’humeur) mais il n y a pas de recherches qui prouvent formellement que l’hypoglycémie est un facteur déclencheur de la gueule de bois.

Les troubles du sommeil :

L’alcool est un sédatif mais le sommeil induit par un excès de consommation d’alcool peut être d’une durée plus courte (l’alcool se consomme souvent le soir ou la nuit) ou engendrer un effet rebond d’excitation quand le taux d’alcool redevient normal dans le sang [iv]. Le sommeil est aussi de plus mauvaise qualité ce qui explique la fatigue des lendemains arrosés. L’alcool perturbe le cycle du sommeil en réduisant le temps passé à rêver (le sommeil REM) et en augmentant le temps du sommeil profond.
De plus, l’alcool perturbe le cycle circadien [5] en stimulant la sécrétion de l’hormone adrénocorticotropique qui augmente la production de cortisol, une hormone qui joue un rôle important dans le métabolisme des glucides et dans la gestion du stress. D’une certaine manière, la consommation excessive d’alcool induit un effet comparable au décalage horaire qui contribue à l’effet délétère de l’alcool.

LES EFFETS DUS AU MANQUE D’ALCOOL
(SEVRAGE EN FIN DE PROCESSUS D’ELIMINATION DE L’ALCOOL DU CORPS HUMAIN)

Les dictons populaires ont toujours un fond de vérité et celui qui dit « pour éviter la gueule de bois restez bourré » n’échappe pas à cette constatation.
L’ingestion d’alcool résulte en une altération de deux récepteurs situés dans la membrane des cellules nerveuses. L’un se conjugue avec un messager chimique (un neurotransmetteur) appelé acide γ-aminobutyrique (en abrégé : GABA) et l’autre avec l'acide glutamique. GABA est un inhibiteur de l’activité des cellules nerveuses alors que le glutamate est un activateur. Pour contrebalancer les effets sédatifs de l’alcool les cellules nerveuses réduisent la production du GABA et augmente la production du glutamate. Mais quand l’alcool est éliminé le processus reste en déséquilibre pendant un certain temps et l’hyperactivité du système nerveux sympathique provoque les symptômes de tremblement, de sudation et de tachycardie)[v]. Les symptômes de la gueule de bois et ceux associés à l’élimination de l’alcool du corps humain sont donc étroitement liés. Des recherches indiquent que malgré l’apparent effet de sédation qu’elle produit, l’ingestion d’alcool est en fait un processus d’excitation du système nerveux central [vi]. L’absorption de la certaine quantité d’alcool sur une gueule de bois, « la remise en marche de la chaudière » est bien connue pour conjurer le double effet de la gueule de bois et des symptômes de sevrage et sans doute aussi des effets des congénères en particulier le méthanol.

LES EFFETS DUS AU METABOLISME DE L’ETHANOL

Il existe trois voies de métabolisme de l’alcool dont la principale est décrite ci-dessous.
L’oxydation de l’alcool se fait par deux enzymes, l’alcool déshydrogénase (ADH) et Acétaldéhyde déshydrogénase (ALDH).

Ethanol
I NAD+
NADH

(Alcool déshydrogénase) ADH

Acétaldéhyde
I NAD+
NADP

Acétaldéhyde déshydrogénase (ALDH)

Acide Acétique

L’acide acétique est un composant non toxique alors que l’alcool a une faible toxicité.
C’est l’acétaldéhyde qui est potentiellement le composant toxique dans ce processus de métabolisme de l’alcool. Cette substance est classée comme substance préoccupante pour l’Homme en raison d’effets carcinogènes possibles mais les preuves sont pour l’instant insuffisantes
[6]. Chez les sujets normaux, l’acétaldéhyde est métabolisé rapidement par l’ALDH et on ne retrouve que des faibles quantités dans le sang quand le sujet est intoxiqué (inférieur à 1 ЧM) [vii]I. Il est totalement absent quand l’alcool a été totalement éliminé II. Les concentrations d’acétaldéhyde circulant ne sont augmentées que chez les consommateurs chroniques excessifs[viii].
Il est donc fort peu probable que l’accumulation d’acétaldéhyde soit une composante de la gueule de bois sauf chez des sujets qui possèdent une variante beaucoup moins active de l’ALDH, l’ ALDH2*2 . L’ALDH2*1, présente chez tous les caucasiens, est une enzyme très active alors que l’ALDH2*2, une enzyme largement inactive, est présente chez environ 50% des asiatiques. Seuls les sujets déficients présentent une accumulation d’acétaldéhyde qui se traduit par un afflux de sang facial (flush) et des signes d’intolérance à l’alcool (maux de tête, hypotension, tachycardie, brûlures épigastriques), semblables à ceux rencontrés lors de la gueule de bois.

LES EFFETS DUS AUX FACTEURS AUTRES QUE L’ALCOOL
(LES CONGENERES)

Les effets du méthanol :

La grande majorité des boisons alcoolisées contient une petite proportion de composants biologiques actifs, y comprit d’autres formes d’alcool, qu’on appelle congénères. Ils contribuent à la saveur, au goût et à l’apparence de la boisson. Les congénères peuvent être des dérivés de la fermentation ou de la distillation ou peuvent être ajoutés au produit. Des recherches ont montré que des boissons composées d’éthanol pur comme le gin ou la vodka induisaient moins d’effet de gueule de bois [ix] [x] que les boissons contenant des congénères comme le cognac ou le whisky. Un congénère semble être d’une plus grande importance que les autres : le méthanol. L’éthanol et le méthanol sont assez peu différents dans leur structure chimique mais la toxicité de méthanol est beaucoup plus importante que celle de l’éthanol et les deux produits intermédiaires du métabolisme du méthanol, l’acide formique et le formaldéhyde sont particulièrement toxiques. La contribution du méthanol au phénomène de la gueule de bois semble être corroborée par le fait que ce sont les alcools ou les vins élevés sous bois et qui contiennent le plus de méthanol (whisky, cognac, vins rouge) qui donnent les pires gueule de bois. Il est probable que durant le vieillissement sous bois, la concentration en méthanol augmente car le méthanol peut être obtenu par l’oxydation du bois. Il est souvent appelé « alcool de bois », car il était autrefois considéré surtout comme un sous-produit de la distillation du bois.

De plus, une étude expérimentale sur quatre sujets ayant consommé du vin contenant 100 mg par litre de méthanol [xi] a montré que le taux de méthanol persistait plusieurs heures après que l’éthanol ait été métabolisé ce qui correspondrait au temps que dure la gueule de bois. En effet l’éthanol et le méthanol sont éliminés par le même système de métabolisme décrit ci-dessus. Mais le métabolisme de l’éthanol empêche celui du méthanol ce qui expliquerait pourquoi la re-administration d’alcool dans la période de gueule de bois se traduirait par une réduction importante des symptômes.

Certaines personnes sont sensibles au vin rouge et développent des maux de tête. Des recherches récentes ont montré que le vin rouge peut augmenter les taux plasmatiques de sérotonine et d’histamine qui peuvent déclencher des maux de tête chez les personnes susceptibles [xii] [xiii].

Les effets du soufre :

Le dioxyde de soufre est un produit utilisé de longue date lors des différentes phases de la vinification et de la conservation du vin. En cours de vinification, il agit comme stabilisant et prévient les développements non souhaités de micro-organismes (bactéries, levures) pouvant être à l'origine de déviations gustatives. Le soufre est également utilisé pour stabiliser le vin une fois celui-ci mis en bouteilles. Il peut être un contributeur aux effets de la gueule de bois en particulier pour les désordres intestinaux et les maux de tête. Les taux de soufre dans les vins ont eu tendance à diminuer assez fortement ces dernières années.

Les effets d’autres drogues habituellement consommées avec l’alcool :

Beaucoup de consommateurs d’alcool sont aussi des fumeurs de cigarettes ou de cannabis ou des preneurs de cocaïne. Ces substances sont elles mêmes génératrices de gueule de bois. Les effets conjugués de l’alcool et de ces drogues ne sont pas pour l’instant connus.

Les effets dus au type de consommateurs et à l’histoire familiale de consommation d’alcool :

Il existe un certain nombre de recherches qui indiquent que les symptômes de la gueule de bois peuvent être potentialisés par certains aspects de leur personnalité individuelle ou suite à des événements négatifs de leur vie et des sentiments de culpabilité associés à la consommation d’alcool [xiv].
Newlin et Al suggèrent que la consommation d’alcool dans une famille engendre chez les enfants un accroissement de la tendance à consommer de l’alcool et des effets de gueule de bois plus sévères
[xv].

CONCLUSION

La cause du gueule de bois est bien connue : l’absorption excessive d’alcool. Mais les mécanismes biologiques et chimiques par lesquels elle se développe le sont moins et sont d’ordres multifactoriels et se recoupent largement.
Il n’existe pas de cure efficace sauf à part peut-être une que le politiquement correct nous interdit de développer ici.



[1] (1749–1830), Avocat anglais et auteur de mémoires célèbres.

[2] R.E.M. est l'acronyme pour Rapid Eye Movement (mouvement oculaire rapide), le nom donné à l'étape du sommeil paradoxal durant laquelle les globes oculaires s'agitent rapidement alors que le dormeur rêve

[3] Les congénères sont des molécules ou groupes de molécules qui sont apparentés (des dérivatifs d’un même groupe).

[4] L'hypophyse ou glande pituitaire (est une glande endocrine qui se trouve dans une petite cavité osseuse à la base du cerveau. Elle est reliée à une autre partie du cerveau appelée l'hypothalamus. Elle produit des hormones qui gèrent une large gamme de fonctions corporelles, dont les hormones trophiques qui stimulent les autres glandes endocrines.

[5] Un rythme circadien est un type de rythme biologique d'une durée de 24 heures. Ce rythme a des conséquences sur les processus physiologiques des êtres vivants, comme les plantes, les animaux, les champignons et les cyanobactéries. Le terme « circadien », inventé par Franz Halberg, vient du latin circa, « environ », et diem, « jour », qui signifie littéralement « environ une journée ».

[6]. Directive 2001/59/CE de la Commission du 6 août 2001 adaptation au progrès technique de la directive 67/548/CEE du Conseil Européen.

[i] Alcohol Hangover : Mechanisms and Mediators Robert Swift, M.D., Ph.D.; and Dena Davidson, Ph.D.
Alcohol Health & Research World. Vol. 22, No. 1, 1998

[ii] MONTASTRUC, P. L’alcool exagère la soif. (Alcohol exaggerates thirst). HCEIA Informations 4:41–42, 1986.

[iii] LIEBER, C.S. Medical disorders of alcoholism. New England Journal of Medicine 333:1058–1065, 1995.

[iv] WALSH, J.K.; HUMM, T.; MUEHLBACH, M.J.; SUGERMAN, J.L.; AND SCHWEITZER, P.K. Sedative effects of ethanol at night. Journal of Studies on Alcohol 52(6):597–600, 1991.

[v] TSAI, G.; GASTFRIEND, D.R.; AND COYLE, J.T.The glutamatergic basis of human alcoholism. American Journal of Psychiatry 152(3):332–340, 1995.

[vi] BEGLEITER, H.; PORJESZ, B.; AND YERRE-GRUBSTEIN, C. Excitability cycle of somatosensory evoked potentials during experimental alcoholization and withdrawal. Psychopharmacologia 37(1):15–21,
1974.

[vii]Enzyme du métabolisme de l’ethanol.disc.vjf.inserm.fr/basisrapports/alcool_effets/alcool_effets_ch2.pdf

[viii] Land WE. A review of alcohol clearance in humans. Alcohol 1998. 15: 147-160.

[ix] CHAPMAN, L.F. Experimental induction of hangover. Quarterly Journal of Studies on Alcohol 5(Suppl. 5):67–86, 1970.

[x] PAWAN, G.L. Alcoholic drinks and hangover effects. Proceedings of the Nutrition Society 32(1):15A, 1973.

[xi] JONES, A.W. Elimination half-life of methanol during hangover. Pharmacology & Toxicology. 60(3):217–220, 1987.

[xii] PRISTACH, C.A.; SMITH, C.M.; AND WHITNEY, R.B. Alcohol withdrawal syndromes: Prediction from detailed medical and drinking histories. Drug and Alcohol Dependence 11(2):177–199, 1983.

[xiii] JARISCH, R., ANDWANTKE, F. Wine and headache. International Archives of Allergy and Immunology 110(1):7–12, 1996.

[xiv] HARBURG, E.; GUNN, R.; GLEIBERMAN, L.; DIFRANCEISCO, W.; AND SCHORK, A. Psychosocial factors, alcohol use, and hangover signs among social drinkers: A reappraisal. Journal of Clinical Epidemiology 46(5):413–422, 1993.

[xv] NEWLIN, D.B., AND PRETORIUS, M.B. Sons of alcoholics report greater hangover symptoms than sons of nonalcoholics: A pilot study. lcoholism: Clinical and Experimental Research 14(5):713–716, 1990.

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