Cette article est la version complète de l’article paru dans le catalogue de septembre 2009.
Pour la première fois dans note catalogue de septembre 2009 nous donnons le type de viticulture pratiqué par les producteurs listés au catalogue Vins du Monde.
Nous pouvons constater que, depuis quelques années, beaucoup de domaines reviennent à une culture plus respectueuse de l’environnement avec la biodynamie et la culture biologique en particulier. Par contre, l’industrie chimique et agroalimentaire ont su habilement récupérer dans son giron le concept d’agriculture raisonnée et l’agriculture biologique pourrait bien en partie être victime de cette récupération dans les années qui viennent.
C’est en 1987 qu’apparait le concept d’Agriculture « durable ». C’est la traduction française du terme anglophone « sustained » (En 1989 la traduction de « sustained » sera modifiée de « durable » en « soutenable ») [1].
La définition du « développement « soutenable » a été rédigée par la Commission Mondiale de l’Environnement en 1987 et est consignée dans le rapport Brundland :
«Un développement durable (soutenable) qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. »
Ce concept d’agriculture soutenable est basé sur : l’efficacité énergétique, l’indépendance alimentaire, la réduction des instants (engrais, pesticides, herbicides), la sélection des semences pour des rendements optimaux pour l’agriculteur et pour l’environnement et pas nécessairement pour l’industrie agro-alimentaire. Cette forme d’agriculture a pour but d’optimiser les revenus et de développer l’emploi agricole. La rentabilité économique, le respect environnemental et le respect social sont les piliers de ce concept.
L’Agriculture Raisonnée : On prend les mêmes et on recommence
En France, cette définition de l’Agriculture soutenable a été reprise sous plusieurs formes mais principalement par le Gouvernement sous la forme du concept de l’Agriculture Raisonnée qui se définit par l’adhésion à un mode de production agricole qui vise à une meilleure prise en compte de l'environnement par les exploitants. En France, le concept est soutenu par les pouvoirs publics (ministères de l'Agriculture et de l'Ecologie) et la promotion est assurée par le réseau FARRE (Forum de l'Agriculture Raisonnée Respectueuse de l'Environnement). Il existe un Cahier des Charges National (Le Référentiel de l’Agriculture raisonnée) qui porte sur le respect de l’environnement, la maîtrise des risques sanitaires, la santé et la sécurité au travail et le bien-être des animaux.
Quand on examine le Référentiel de l’Agriculture Raisonnée, une certification est attribuée aux exploitants agricoles respectant les principes de l'agriculture raisonnée. Sur les 103 mesures listées 45 sont des exigences réglementaires déjà en vigueur. 19 sont des engagements de l’agriculteur à respecter dans les 2 ans mais qui devront éventuellement faire l’objet d’un organisme de certification. Quant au reste ce sont simplement la vulgarisation des bonnes pratiques agro-environnementales. On est quand même loin des principes fondateurs du concept de l ’Agriculture soutenable proposés dans le rapport Brundland et dont le site internet de FARRE en reprend quand même la définition sur son site internet.
L’agriculture raisonnée ne remet pas suffisamment en cause les méthodes de l'agriculture traditionnelle intensive, en particulier, l’utilisation des intrants de l’industrie chimique agricole ainsi que celles des OGM [2]. C’est un compromis entre les institutions gouvernementales et l’industrie chimique de l’agro-alimentaires et des concessions aux lobbies particulièrement puissants de cette industrie qui souvent sponsorisent des programmes de recherche d’institutions publiques et dont les dirigeants peuvent être, par le système du «pantouflage »[3] responsables politiques dans les gouvernements et dirigeants des les entreprises agroalimentaires.
Et l’agriculture Biologique ? Va-t-elle dans la bonne direction?
Même si on constate une amélioration sensible de la qualité des sols avec l’agriculture biologique, elle s’est malheureusement fourvoyée dans des grossières simplifications conceptuelles. Si tout intrant chimique de synthèse est interdit en agriculture biologique, celle -ci utilise sans le moindre état d’âme les pyréthenes [4] et le roténone[5], deux insecticides tirés des végétaux. Leur biodégradabilité est certes plus rapide, et s’agissant des pyréthenes ils sont moins nocifs qu’un grand nombre d’insecticides issue de la chimie de l’agroalimentaire. L’usage du roténone par contre est plus contesté car de son champ d’action est plus large et il induit la maladie de Parkinson[6] chez les rats[i]. La banalisation de son emploi coïncide étrangement avec l’augmentation de la maladie de Parkinson [ii].La commission européenne à depuis le 10 avril 2008 demandé à tous les Etats Membres de retirer les autorisations des produits contenant du roténone [iii]. La France bénéficie d’un délai supplémentaire jusqu’en 2011 pour des usages, entres autres sur la vigne, ce qui confirme le statut prépondérant de la France en Europe dans l’utilisation des produits chimiques.
L’agriculture biologique ne se prive pas non plus de l’utilisation des phéromones synthétiques qui empêchent l’accouplement des insectes prédateurs de la vigne mais aussi celui des insectes amicaux comme les prédateurs du micro-organisme responsable de la Flavescence Dorée qui ne peuvent être traités que par des intrants chimiques puissants, dommageable pour l’environnement, ou souvent par l’arrachage des vignes.
La bouillie bordelaise, à base de sulfate de cuivre est utilisée dans le traitement du Plasmopara viticola, l’agent du Mildiou est particulièrement controversée pour la toxicité du cuivre sur les sols et dans les milieux aquatiques, ce qui va conduire à une réduction drastique de son usage même en agriculture conventionnelle dans les années qui viennent. La bouillie bordelaise est autorisée en agriculture biologique dans certaines limites : Depuis le 1er janvier 2006, dans la limite maximale de 6 kilogrammes de cuivre par hectare et par an, pour les cultures pérennes, comme celles de la vigne, les États membres peuvent porter par dérogation la dose maximale jusqu'à 38 kilogrammes de cuivre par hectare (jusqu'au 31 décembre 2006). Elle devra décroître au delà. Nous n’avons rien trouvé dans la littérature à ce sujet qui indique que les quantités autorisées aient été revues à la baisse en 2007.
On peut aussi légitiment s’interroger sur l’impact carbone de ces traitements préventifs répétés par l’utilisation des tracteurs aussi que l’impact sur la biologie des sols par leur compactage du passage des engins mécaniques pour l’épandage de la bouillie bordelaise.
La Biodynamie : La solution finale ou sorcellerie
Le concept de culture biodynamique date de 1924 et a été formulée par Steiner qui est issu de l’anthroposophie, (également appelée science de l'esprit ). Elle avait pour but, à l’époque, de répondre aux inquiétudes de certains agriculteurs préoccupés par la dégénérescence de certaines cultures. Ses fondements sont donc plus empiriques que scientifiques.
L’agriculture biodynamique a pour but d'obtenir des plantes saines avec un rendement optimum, tout en évitant d'épuiser les sols par une exploitation trop intensive. La base de ces agricultures est l'emploi du compost, réalisé, pour l'essentiel, à partir de fumier, de déchets végétaux et de terre, en fait de toute substance naturelle végétale ou animale susceptible d'être décomposée par les micro-organismes et les êtres vivants dans le compost. L’agriculture Biodynamique utilise aussi la technique des plantes compagnes, c'est-à-dire de plantes qui se renforcent mutuellement par leur proximité. L’utilisation de produit phytosanitaire de synthèse est rigoureusement interdite.
En agriculture biodynamique, on accorde une grande importance aux rythmes dans la nature. L'agriculteur biodynamique tient compte des phases lunaires, et parfois des planètes, des rythmes circadiens, des rythmes saisonniers.
Il existe un label spécifique à la culture Biodynamique, le label « Demeter » ainsi qu’un label « Biodyn » spécifique à la viticulture.
Certains des plus grands domaine viticoles mondiaux pratiquent cette agriculture (Domaine de la Romanée Conti, Domaine Leflaive, La Coulée de Serrant, Domaine Zind Humbrecht etc ).
Dans l’ensemble, ce type de viticulture semble plus adapté aux petits domaines hautement qualitatifs.
La viticulture intégrée : une voie novatrice et intéressante
Nous avons été surpris quand , Alessandria, producteur piémontais de Barolo, Barbera et Dolcetto nous a répondu qu’il pratiquait ce type de viticulture.
Le concept d’agriculture intégrée définie des pratiques agricoles pour produire des aliments en utilisant les moyens les plus naturels possibles et des mécanismes régulateurs pour remplacer les apports chimiques et polluants. C’est une approche holistique (totale). L’exploitation agricole est considérée comme une unité de base dans laquelle évoluent les cultures et les espèces animales en complète complémentarité.
Les animaux sont envoyés dans les champs et les vignes après la récolte ou vendange pour « nettoyer » les sols des résidus. Leurs déjections apportent de l’engrais au sol. La préservation de la fertilité des sols est un aspect essentiel de ce type d’agriculture. Les moyens biologiques, chimiques et techniques sont utilisés uniquement en compléments de ce qui ne peut pas être fait pas les espèces végétales ou animales et pour maintenir les exigences économiques de rentabilité de l’exploitation.
Elle approche en similaire à l’agriculture soutenable mais elle ajoute une dimension de proximité. L’exploitation est un écosystème en équilibre et dont les productions font vivre l’économie locale et ne sont pas destinées à être introduites - dans le système logistique de la distribution aujourd’hui largement mondialisée.
Et dans les chais ?
Il n’y a pas à proprement parlé de vins biologiques comme beaucoup le pense. Seule la viticulture peut être biologique (ou organique). Il n’y a pas encore de certification pour la vinification et le biologique s’arrête en général à la porte des chais et c’est tant mieux !
Beaucoup des ces viticulteurs biologiques sont des fervents supporters ou des élaborateurs de vin nature et dans bien des cas ils utilisent des concentrations de soufre minime (quand ce n’est pas tout simplement l’absence totale de soufre). Des vins élaborés de cette façon conduisent à des déviances de tel sorte qu’ils ont souvent des arômes de basse cour ou bien pétillent si bien que l’on assiste aujourd’hui à la constitution d’un circuit de distribution spécialisé (bars à vin et cavistes) dirigé par des intégristes du bio ou/et du « sans soufre » pour initier le consommateur au plaisir du vins « déviant ».
Ce type d’agriculture est trop vulnérable aux conditions adverses extrêmes comme on l’a vu en 2006 où de nombreux viticulteurs en agriculture biologique ont perdu leur récolte pour rester en biologique ou bien sont sortis de l’appellation bio pour sauver une récolte qui n’aurait pu l’être autrement que par l’utilisation de produits phytosanitaires.
En agriculture biologique, on se ne préoccupe pas ou peu de l’impact environnemental ni de l’impact carbone de ce type d’agriculture. En Californie on commence à voir apparaitre des fermes immenses totalement gérées en agriculture biologique qui emploient des moyens encore plus conséquent en ressources énergétiques que ceux utilisés en agriculture conventionnelle. Les produits issus de l’agriculture biologique ne remettent pas non plus en cause le système de distribution aberrant qui fait voyager par avion sur de milliers de kilomètres des denrées alimentaires qui pourraient tout aussi bien être produites localement.
L’agriculture biologique n’est elle-même pas une agriculture durable car elle ne traite qu’une petite partie d’un système qui doit se concevoir comme un ensemble. Une agriculture durable peut être biologique mais une agriculture biologique ne peut être une agriculture durable.
Si la chimie a envahie les vignobles, elle n’a pas été reste dans les chais non plus avec la chaptalisation, l’acidification, le soufre, les conservateurs, les copeaux, de bois, les ajouts d’améliorateurs du goût, d’édulcorants, de tanins, d’eau. La liste serait trop longue pour tous les citer ici. Parallèlement les technologies modernes se sont aussi imposées (micro-bullage[7], osmose inverse[8], distillation à cônes rotatifs sous vide[9]) pour le meilleur ou pour le pire. On peut voir ici et là, aux détours de nos visites dans certains des plus grands domaines viticoles, des « concentrateurs » ou « micro-bulleurs » (dont on nous assure qu’ils n’ont jamais été utilisés et qu’ils ne le seront jamais). On se demande pourquoi on finance de tels équipements inutiles à moins que l’on considère que cela fasse partie, de nos jours, de l’esthétique d’un chai. Mais il est vrai que l’on vous répète, dans ces domaine, que le vin se fait dans la vigne et non pas dans les chais !
Et puis beaucoup ont succombé au système Parker-Rolland [10] d’uniformisation du goût qui rend toute tentative d’identification du terroir d’origine des vins quasiment impossible. Sans que cela fasse nécessairement de mauvais vins, il est quand même plus que dommage de voir disparaître cette notion d’origine, d’appartenance à un lieu, de terroir qui a sous-tendu au fil des siècle le travail de l’ homme pour tirer la meilleure adéquation entre le terroir et la vigne et faire qu’un vin produit sur une parcelle, soit différent d’un autre produit sur un parcelle voisine. Des vins de la Rioja en Espagne (région fraiche à 600 mètres d’altitude) ont maintenant la couleur et la densité des vins de la Ribera del Duero (région plus sudiste et moins élevée). Les vins faits à partir du cépage Nebiolo deviennent noir comme de l’encre digne des plus somptueux Cabernet Sauvignon.
La recette du système Parker-Rolland est simple même si on la simplifie un peu ici. , il faut récolter tard à maturité parfaite certains disent en parfaite maturité pour faire de la confiture. Il faut de la couleur et il faut du bois, du bon, du bien toasté et beaucoup ; Et puisque comme les clients ne peuvent pas attendre il faut microbuller, encore microbuller et toujours microbuller [11] les moûts. Alors on arrive à des vins qui ont beaucoup plus a voir avec la technologie qu’avec les terroirs dont ils sont issus mais au moins on aura des vins qui plairont à Bob [12] et Bob, il donnera des bonnes notes et les bonnes notes apponteront du bon business à Miguel [13] qui lui permettront de donner à Bob la primeur de ses découverte pour que Bob en parle avant les autres [iv]. Ces deux grands talents ne sont que la réflexion de notre temps, celle de la volonté de l’homme de s’affirmer au dessus de la nature et de son histoire avec la complicité mercantiles des producteurs prêts à faire des vins « contre nature » pour s’attirer les faveurs des critiques! Pour ceux qui résistent, courage, ils sont dans le vrai car comme tous, les faiseurs d’opinion d’un moment finiront comme la plupart dans la « fosse commune du temps » [14]et la nature reprendra ses droits, comme toujours, à moins que de la nature il n’en reste pas grand-chose après que le changement climatique ne soit passé par là.
[1] Le gouvernement français ayant refusé de prendre en charge financièrement la traduction celle-ci fut effectuée pas des québécois.
[2] Organsimes Genetiquement modifiés. Sont des organismes dont le patrimoine génétique a été modifié par l’homme.
[3] Le « pantouflage » est le passage d un haut fonctionnaire (qui souvent exerce des responsabilités importantes au gouvernement) de la fonction publique à l’entreprise privée.
[4] Un pesticide à basse toxicité dérivé de la fleur de Chrysanthème
[5] Le Roténone est une molécule organique naturellement produite par certaines plantes tropicales qui est toxique pour un grand nombre d’espèces animales à sang froid.
[6] La maladie de Parkinson est une maladie neurologique caractérisée par la dégénérescence d'une population de cellules nerveuses (neurones) situées dans le Locus Niger ou Substance Noire, petite structure mesurant quelques millimètres et située à la base du cerveau.
[7] Technique aussi appelle micro-oxygénation mise au point en Madiran par les frères Laplace et Patrick Ducourneau. Cela consiste à injecter dans la cuve de fermentation de l'oxygène en petite quantité grâce à un appareil qui fonctionne un peu à la manière d'une pompe pour aquarium: cela précipite les anthocyanes et permet de doser l'élevage en bois neuf. Cela peut être considéré comme une accélération du processus d’élevage qui se fait habituellement en barrique.
[8] L’osmose inverse est un système de purification d’une solution (du mout pour le vin) au travers d’un filtre qui est sous pression hydrostatique (50-60 bars) et qui force les molécules d’eau à franchir la membrane, concentrant ici le moût.
[9] Utilisé pour réduire la teneur en alcool des vins grâce à la technique CCR (Colonne de cônes rotatifs), une distillation mécanique, effectuée sous vide, à température ambiante. Le vin s´écoule sur des cônes empilés qui tournent à une vitesse déterminée. Sous l´effet de la force centrifuge, le liquide est transformé en une couche mince et turbulente, balayée, dans le sens inverse, par un flux de vapeur qui entraîne les composés volatils du vin. La quantité d´alcool nécessaire est ainsi prélevée, mais aussi les arômes les plus volatils qui sont réinjectés dans le vin partiellement désalcoolisé.
[10] Robert Parker est le critique viticole le plus puissant au monde. Ses notes influence fortement le prix des vins sur les marché du monde. Michel Roland est l’œnologue consultant le plus connu et consulte pour un grand nombre de domaine à travers le monde.
[11] Propos tenu par Michel Roland et rapportes dans le film de Jonathan Nossiter, Mondovino.
[12] Le nom familier donné à Robert Parker dans le milieu du vin.
[13] Le nom familier donné à Michel Roland.
[14] Expression utilisé par Georges Brassens dans la chanson le « testament » sur album Chanson pour l’Auvergnat »
[i] La Roténone : données nouvelles et réflexions : Dr. Bernard Mauchamp, Unité Nationale Séricicole, INRA, 25 quai J.-J. Rousseau, 69350 La Mulatière
[ii] La Roténone : données nouvelles et réflexions.2005. Dr. Bernard Mauchamp. Unité Nationale Séricicole, INRA, 25 quai J.-J. Rousseau, 69350 La Mulatière
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[iii] La décision de la Commission européenne n°2008/317/CE du 10 avril 2008.
[iv] Robert Parker : Anatomie d’un mythe. Hanna Agostini. Edition Scali 2007. ISBN : 978-2-35012-186-4.
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